Jules Vallès, L'insurgé

 

Commentaire: LES VAINCUS DE JUIN

Cette page appartient au dernier des trois romans que Jules Vallès a écrit sous le titre général de Jacques Vingtras, et qui racontent l’histoire de sa vie de révolté contre l'ordre établi, en lutte pour un nouvel ordre social fondé sur les idéaux socialistes. Donc le témoignage de son expérience à côté des prolétaires révolutionnaires devient important car ses romans prennent toujours position donc ils ne sont ni objectifs, ni neutres. La façon dont il regarde les événements, les personnages, les milieux, est d’un réalisme lucide et passionné. C’est pour cela donc que sa langue utilise les expressions populaires et même l’argot, et que la structure syntaxique de ses phrases suit souvent l’aspect des expressions orales.

Dans le passage qu’on a lu, tiré du roman L’insurgé, le sujet est la lutte du prolétariat parisien sous la Commune de Paris (1871), vue à travers le personnage de Jacques Vingtras. Il nous décrit les conditions matérielles et le climat psychologique et moral de la longue résistance qui a permis à ces "vaincus de juin" de conserver leur esprit de révolte et leur détermination à reprendre la lutte; il fait allusion aussi aux divergences existant chez les anciens déportés et persécutés politiques sous le Second Empire à propos des divisions politiques entre républicains et socialistes.

La première image qu’on a des vaincus est qu’ils sont en réalité des insurgés, des vainqueurs et des égoïstes car ils pensent à maintenir leur dignité, en laissant aux femmes le devoir de soutenir avec le courage et l’intelligence la famille et d’élever les enfants qui devront apporter les bons fruits de la nouvelle génération. Mais comme cela apparaît bien à travers le texte la survie pendant les années de la résistance n’était pas si simple et elle devenait encore plus difficile vue du côté de la dignité.

Dans le récit on voit Vallès au contact avec une famille d’ouvriers donc symboliquement avec le monde ouvrier qui lui fait oublier sa formation intellectuelle, foncièrement bourgeoise malgré son apparence révolutionnaire. Donc chez lui se forme une opposition interne qui correspond à celle entre le monde des héros anciens et la fréquentation des simples. La partie qui suit est comme un prolongement de l’aspect émotionnel introduit précédemment et qui se transforme tout de suite en une sorte de mémoire qui l'amène à rappeler le père Gros et donc la bourgeoisie même si sa pensée retourne rapidement et à contrecoeur à la pauvreté de la famille ouvrière.

Ensuite il y a l’espoir d’une reprise du mouvement et avec cela, un élargissement du sentiment de fraternité créé par la perspective de la lutte commune, mais pas seulement: en effet on peut voir aussi comment les ouvriers ont du respect pour la culture au moment où elle prend position à leurs côtés.

Le récit continue avec un élément symbolique très important: "un bout de flanelle rouge" qui évoque la longue querelle qui avait opposé républicains et socialistes au cours de la période qui avait suivi la répression de juin. Il y a ensuite une liste de ce qu' étaient les prétextes pour faire éclater la haine et qui nous sont utiles à comprendre la dureté du contraste et surtout à évoquer la longue période de persécution, pendant laquelle les deux partis retrouvaient pourtant des moments d’unité contre l’ennemi commun.

Le passage suivant nous amène à la fin du récit, en effet les souvenirs des ouvriers deviennent mémoire vivante de l’intellectuel et donc, contrairement à la situation initiale, il s’efforce de se délivrer de ses traditions pour acquérir celles de la classe ouvrière, tandis que l’ouvrier pour augmenter sa force révolutionnaire devient un intellectuel en passant par la perte de sa dignité de travailleur.

(Lorenza Carà)