Du 5 au 18 octobre 1934, la région minière des Asturies
allait vivre une insurrection et une «Commune» qui mirent toute
la région sous contrôle des travailleurs. Des villes et des
villages vécurent et combattirent sous la bannière «Unis
Frères Prolétaires», attendant, en vain, que le reste
de l’Espagne se soulève.
Depuis des semaines, dans tout le pays, le Parti Socialiste espagnol
avait menacé d’une riposte par «la révolution sociale»
si des ministres d’extrême droite entraient dans le gouvernement
de la République.
La perspective de l’entrée au gouvernement de la fascisante
CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes) inquiétait
d’autant plus la direction du Parti Socialiste que, l’année précédente,
l’arrivée de Hitler au pouvoir s’était traduite par l’interdiction
des organisations ouvrières et l’envoi en camps de concentration
de nombreux militants, et qu’en 1934 le Parti Socialiste autrichien avait
subi un sort comparable du fait du gouvernement de droite. Devant cette
menace mortelle, le Parti Socialiste espagnol crut s’en tirer en menaçant
de recourir à l’insurrection en cas de menaces. Mais ce n’était
que des mots!
Quand le Premier ministre annonça le 4 octobre la constitution
de son gouvernement avec trois ministres de la CEDA, la grève générale
commença dans les principales villes d’Espagne.
Cependant, à Madrid, la direction du Parti Socialiste recula
et disparut au moment où les travailleurs s’attendaient à
des consignes d’action. À Barcelone, le refus des anarchistes de
la CNT d’agir avec l’Alliance Ouvrière, c’est-à-dire avec
les militants socialistes et communistes, et le suivisme des socialistes
derrière le gouvernement catalaniste conduisirent à l’échec.
Dans la plupart des grandes villes du pays, la direction du Parti Socialiste
tergiversa et ne voulut pas lancer les travailleurs au combat. Mais aux
Asturies, de nombreux militants avaient pris au sérieux l’idée
qu’il fallait répondre par l’insurrection au coup de barre à
droite que représentait le nouveau gouvernement.
L’insurrection du 5 octobre
Aux premières heures du 5octobre, armés de quelques fusils,
de carabines de chasse, d’ustensiles de labour et de cartouches de dynamite,
les mineurs de Mieres et de tout le bassin minier se lancèrent à
l’assaut des casernes de la Garde Civile et des Gardes d’Assaut. Cela se
fit de façon organisée puisqu’avant l’insurrection un comité
provisoire avait été nommé et les combattants répartis
en groupes de trente hommes pourvus d’un chef.
Mieres avait donné l’exemple. Dans les heures qui suivirent,
toutes les casernes de la zone minière tombèrent. Le soir
du 5, des comités révolutionnaires s’étaient formés
dans toute la région.
Les mineurs se dirigèrent alors vers la capitale, Oviedo, à
pied ou en camion et, à l’aube du 6 octobre, mal armés, ils
se lancèrent à l’assaut. Ils étaient en position d’infériorité
par rapport aux bataillons de l’armée et de la police, mais ils
avaient ce qui manquait à ceux-ci: l’enthousiasme et le courage
que donne la conviction de lutter pour changer la société.
Beaucoup tombèrent en avançant à poitrine découverte
face aux mitrailleuses. Mais Oviedo fut prise, grâce notamment à
l’action des dynamiteurs qui entrèrent dans l’histoire du mouvement
ouvrier. Dans l’autre grande ville asturienne, le port de Gijon, les indécisions
des dirigeants ouvriers firent que, malgré trois jours de combats
héroïques, les troupes gouvernementales l’emportèrent,
ouvrant ainsi la voie maritime aux troupes de répression.
Le pouvoirdes travailleurs
Dans les villes de mineurs, durant les quelques jours de la «Commune
asturienne», non seulement le combat, mais la vie, le ravitaillement,
l’organisation des soins... furent organisés par les travailleurs
eux-mêmes, à l’initiative des comités militaires révolutionnaires.
Ainsi, à Sama, par exemple, comme le raconte Narcis Molins dans
son livre UHP, la insurreccion proletaria de Asturias, «l’Armée
Rouge enrôla tous ceux qui, de 18 à 35 ans, souhaitaient combattre
et n’avaient pas appartenu à la classe exploiteuse». Le comité
militaire révolutionnaire se divisa en comité militaire,
comité de ravitaillement et comité sanitaire.
Le comité militaire se chargea d’organiser les troupes sur le
front d’Oviedo et de Campomanes. «Le comité de ravitaillement,
composé de trois militants sûrs et d’une vingtaine de délégués,
recensa les habitants par rue, et répartissait les bons permettant
les achats de nourriture». C’est dans la transparence que se faisaient
les achats de viande aux paysans, la distribution passait par le réseau
existant des petits commerces.
«Le comité sanitaire centralisa tous les services sanitaires
dans l’hôpital de la ville, placé sous la direction d’un médecin
communiste. Les malades pauvres furent soignés gratuitement».
Et ce type de fonctionnement, avec quelques variantes liées aux
initiatives de comités, exista dans toute la région.
Mais, dès le 10 octobre, des légionnaires et des chasseurs
d’Afrique débarquaient à Gijon. Il fallut plus d’une semaine
aux troupes des généraux Lopez Ochoa et Franco, malgré
leur considérable supériorité en armement, pour obliger
les mineurs asturiens à capituler.
Ceux-ci furent vaincus parce qu’ils étaient restés isolés,
parce que les organisations qui prétendaient à la direction
de la classe ouvrière les avaient laissés isolés.
Les dirigeants du Parti Socialiste avaient beaucoup parlé de révolution
socialiste mais la craignaient en fait autant que la bourgeoisie. Quant
à la CNT, la valeur de ses militants ne compensait pas l’absence
d’une politique révolutionnaire.
La répression fut impitoyable, sanglante. Mais elle ne brisa
pas pour autant la classe ouvrière asturienne, ni espagnole. Moins
de deux ans plus tard, cette classe ouvrière allait se dresser unanime
contre la tentative d’un nouveau coup d’État militaire, un coup
d’État dirigé par les généraux qui avaient
été les bourreaux des travailleurs asturiens.
Et si une fois de plus la classe ouvrière fut vaincue, et cette
fois-ci pour toute une période historique, les causes de cet échec
furent fondamentalement les mêmes que celles de la défaite
d’octobre 1934: l’absence d’une direction révolutionnaire à
la hauteur de la combativité, de l’héroïsme du prolétariat
espagnol.
Alors, 70 ans plus tard, le meilleur hommage que l’on puisse rendre
à «ceux d’Oviedo», c’est de retenir les leçons
de leur combat et de continuer à lutter pour le monde dont ils rêvaient.
Jacques Muller